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Un nucléaire en transformation

L'histoire récente a remis le nucléaire sur le devant de la scène médiatique. Alors que dans les années précédant Fukushima, le débat portait sur la gestion des déchets radioactifs ou les relations entre changement climatique et "renaissance du nucléaire", la catastrophe a relancé « l’impossible débat » marqué par les catastrophes de Three Mile Island et de Tchernobyl, et réactualisé les louanges ou les invectives que ne cesse de susciter ce mode de production énergétique. Pourtant, en 30 ans la technologie en elle-même a peu évolué mais ses modalités d'inscription dans la société ont changé, sous le triple impératif de la "transparence", de la "gouvernance" et de la "durabilité". Face aux doutes qui entourent la maîtrise des risques et la gestion des déchets, les pouvoirs publics ne peuvent plus faire abstraction ni de la signification du nucléaire pour les populations ni de la portée politique et éthique des choix énergétiques. Loin d'être un simple sujet technique, le nucléaire est synonyme de pratiques, de comportements, de représentations, de formes de régulation, d’enjeux de pouvoir. Dans la plupart des pays nucléaire, la "mise en politique des déchets nucléaires" à partir de la fin des années 1980 a conduit à repenser la temporalité et les cadres mêmes de l'action publique, modifiant la régulation de l'industrie et ses relations avec la société. La France, le Royaume-Uni (après le fiasco de Nirex et la privatisation partielle des centrales), les USA (avec les controverses sur Yucca Mountain et la relance de la construction de centrales) et la plupart des pays nucléaires ont suivi cette voie, en donnant un cadre renouvelé à l'industrie nucléaire, qui fait toute sa place à la "transparence" et au "public engagement".

Réévaluer l'effort de recherche en SHS

Ces évolutions récentes ont rendu nécessaire une réévaluation de l'effort de recherche en SHS, qui reste dispersé et se trouve confronté à de multiples difficultés. En effet, pour les sciences humaines et sociales, le nucléaire constitue un objet de recherche délicat à aborder. D’une part, le nucléaire a un statut ambigu au sein des SHS. Il est à la fois attirant et repoussant. Attirant puisque son inscription dans l’espace public ne faiblit pas. Repoussant, car comme tout objet technique il nécessite un investissement important de connaissance du monde nucléaire, mais surtout il oblige en permanence le chercheur à se désengager du débat et à justifier ses choix méthodologiques et théoriques. D’autre part, les chercheurs investis sont rarement financés sur cette thématique. Un exemple récent de cette inadéquation entre ces besoins en recherche et la pauvreté des financements est celui de l’appel d’offres Flash de l’Agence Nationale de la Recherche française, faisant suite à l’accident de Fukushima, et appelant à :« l’analyse de l’évènement sous tous ses aspects, jusqu’aux leçons à retenir en termes de prévention, mais en excluant tous les sujets relatifs à l’industrie et la sûreté nucléaire ». Enfin, le risque est toujours grand, pour les chercheurs en sciences sociales, de voir leur travail instrumentalisé au profit de luttes partisanes ou de tentatives d'ingénierie sociale.

Malgré ces difficultés, les sciences humaines et sociales se sont emparées de différents aspects du nucléaire, en cherchant à leur donner substance, à comprendre leur mise en pratique concrète, voire à comparer discours et réalité du fonctionnement de l'industrie nucléaire. La diversité des approches et des angles retenus pour analyser le fait nucléaire montre, s’il en est besoin, que les ressources analytiques existent. Les historiens se sont penchés sur l'histoire de la technologie nucléaire, les politiques industrielles et la prise de décision, la contribution aux grands récits nationaux, la relation ambiguë du nucléaire au rayonnement politique des Etats et à leurs politiques coloniales. Ils ont produit des monographies de projets et de sites nucléaires et ont interrogé les relations existantes entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire, en montrant les liens qui les unissent. Les sociologues, eux, ont appréhendé les positions vis à vis du nucléaire en insistant sur leur rôle dans la reconfiguration de l'action collective. Ils ont interrogé l'action publique et les modalités de participation au débat. Le risque nucléaire a constitué un point de focalisation particulier, que ce soit du point de vue des conséquences des accidents ou de la manière dont les populations construisent leur perception du risque et du temps nucléaire. Une attention particulière a été portée aux riverains des installations, aux travailleurs de l'industrie (permanents ou intérimaires) et à leurs représentants associatifs ou syndicaux. A leur suite, les anthropologues ont réalisé des monographies de sites nucléaires, s’intéressant aux personnels comme aux populations des villages d’implantation. Ils ont également analysé le débat autour du nucléaire, qu’il prenne la forme d’actions collectives ou bien de dispositifs d’action publique, et montrent que ses termes restent codifiés et les participants triés et cadrés. Ces recherches soulignent que le nucléaire est un puissant opérateur du champ social, culturel et symbolique. Elles conduisent à repenser les catégories utilisées pour décrire le nucléaire et ses conséquences sur les populations et les territoires. Les géographes, quant à eux, ont interrogé les modalités de l'inscription du nucléaire dans ses territoires, la manière dont le nucléaire articule des sites et des flux de matières et d'énergie. Les économistes ont montré les spécificités d'une industrie fortement capitalistique, qui fonctionne à des échelles de temps bien au-delà des autres projets industriels, avec des conséquences fortes en termes de taux d'actualisation. Les spécialistes de science politique se sont confrontés, eux aussi, aux singularités d'une industrie toujours politique, qui transforme les modes de décision publique et interroge, à nouveaux frais, la notion même de politique et de démocratie. Enfin, la recherche en droit a abordé les questions de transparence: le processus décisionnel lié à la gestion des installations nucléaires doit rechercher l'équilibre entre la nécessaire « discrétion » qui doit les entourer et le droit à l’information. Ces particularités de l'industrie nucléaire et les exigences de la radioprotection ont  nécessité l'invention d'un droit spécifique, appuyé sur des normes techniques au statut juridique souvent flou, à la temporalité singulière en raison des contraintes de gestion des déchets issus de l’industrie nucléaire, associant long terme et réversibilité.

Les objectifs du colloque

Ce colloque interdisciplinaire, "Les chantiers du nucléaire. Quelles approches du nucléaire par les sciences humaines et sociales?", se propose d’ouvrir un chantier, celui des relations entre le nucléaire et les SHS.

Dans un premier temps, il s’agira de faire un bilan des recherches déjà existantes et de capitaliser sur cet acquis conséquent, en examinant les approches choisies, les méthodes mises en œuvre, les difficultés rencontrées et in fine les aspects non retenus ou non analysés de cet objet à multiples facettes.

Dans un second temps, nous souhaiterions interroger la pertinence des apports des SHS aux débats contemporains sur l'industrie nucléaire et les politiques destinées à l'encadrer.

Ce colloque s'adresse donc aux chercheurs issus de l'ensemble des sciences humaines et sociales (sociologie, anthropologie, psychologie, droit, économie, géographie, gestion, science politique, droit, etc.) intéressés par cet objet qu'est le nucléaire, ceux qui s'en sont emparés comme ceux qui désireraient le faire.

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